Vous vous êtes sans doute posé la question. Pourquoi certains auteurs de littérature jeunesse finissent par trouver un éditeur alors que vous collectionnez les lettres de refus depuis des lustres ?
Vous vous dites peut-être qu’ils ont plus de talent que vous. Ou bien que leur histoire de lutin ensorcelé est arrivée pile au moment où ce genre commençait à s’arracher. Quel coup de bol incroyable ! Et si ce n’est pas la chance, ce doit être le piston. Reconnaissez-le ! Ça sert de connaître l’oncle de la sœur du stagiaire chez Gallimard Jeunesse.
Résultat : vous vous morfondez devant votre pile de lettres types en maudissant ces jeunes auteurs talentueux. Et c’est vrai qu’il y a de quoi pleurer. Ce style de courrier rendrait dépressif le nain Joyeux en personne.
Bref. Vous avez trimé pendant des mois, des années à relire, corriger, raturer, réécrire, relire votre tapuscrit… Rien n’y fait. Personne ne veut de votre chef-d’œuvre.
Dur, dur de devenir écrivain, pas vrai ?
Et pourtant, vous vous en êtes donné du mal. Vous avez sué corps et âme à noircir des pages et des pages (au point d’avoir des cloques au bout des phalanges). À raturer rageusement des passages entiers. À lutter contre la page blanche. À chercher l’inspiration. Vous avez même été à deux doigts de balancer votre ordi par la fenêtre.
Entre deux relectures, vous vous êtes peut-être plongé dans des bouquins qui parlent d’écriture pour améliorer vos techniques. Vous vous êtes sérieusement demandé comment écrire une histoire pour enfants et créer une intrigue palpitante. Vous avez été bon élève : vous avez peaufiné votre premier chapitre pour donner envie de lire la suite aux gentils éditeurs.
Vous avez même trouvé des relecteurs qui ont aimé votre roman.
Un jour, enfin, miracle ! Vous avez inscrit le point final de votre texte. Vous avez alors pris votre courage à deux mains pour accomplir cette chose insensée et complètement masochiste cet acte héroïque : envoyer votre manuscrit à plusieurs maisons d’édition.
S’en est suivi une attente à rendre fou Confucius. Vous avez rongé votre frein pendant une éternité avant de recevoir la première réponse. Bien sûr, vous vous étiez préparé au pire, malgré la petite lueur d’espoir que vous gardiez en vous.
Le premier refus vous a fait l’effet d’une gifle. Une autre baffe en plein dans votre ego vous a amoché un peu plus. Puis une autre et encore une autre.
Dans un sursaut d’espoir, vous avez pensé à l’autoédition. Mais vous le savez. Quand on est un romancier débutant, l’auto-publication peut s’avérer problématique pour se faire connaître.
Au bord du désespoir, vous avez envisagé les pires extrémités pour voir votre nom imprimé sur une couverture. Comme de vous tourner vers l’édition à compte d’auteur. Mais est-ce que ça vaut le coup de débourser une somme rondelette pour être édité ? Et, au final, pour ne vendre que quelques exemplaires de votre chef-d’œuvre ?
Non, bien sûr. Ce que voulez, c’est faire publier gratuitement votre roman et obtenir un vrai lectorat de jeunes lecteurs. Histoire de crâner superbement de déambuler avec nonchalance dans les salons du livre et rédiger de belles dédicaces à de jeunes fans en délire.
Pour le moment, vous avez l’impression d’être maudit. Comment faire la différence et recevoir enfin une réponse positive d’une maison d’édition ?
C’est tout bête et ça se résume à une seule et unique chose.
Mais avant de vous la dévoiler, je voudrais vous ouvrir les yeux sur la dure réalité.
Vous n’avez qu’une chance sur mille de voir votre premier roman édité
Plutôt flippant, non ?
Pour tout vous avouer, j’ai hésité à vous lancer cette bombe. Loin de moi l’envie de vous décourager.
Mais est-ce qu’il ne vaut pas mieux connaître la vérité si vous voulez percer un jour ?
Écoutez ça. Un « grand » éditeur jeunesse reçoit, par an, entre 1000 et 1500 romans de parfaits inconnus.
Ça en fait de la concurrence, pas vrai ? C’est peu de dire que les maisons d’édition jeunesse sont noyées sous les flots de manuscrits.
Sur ce raz-de-marée, combien, à votre avis, seront capables de susciter l’enthousiasme délirant de l’éditeur ? (Il faut bien ça pour qu’il vous propose de signer un contrat d’édition.)
La réponse donnerait envie de se pendre à n’importe quel gai luron. Un seul en moyenne.
Oui, vous avez bien lu ! Au plus, 1 roman sur les 1000 envoyés spontanément paraîtra en librairie (en chiffres, ça vous parle peut-être plus).
Bon, c’est vrai, chez les « petits » éditeurs, vous pouvez avoir plus de chance.
Sur environ 100 textes reçus, 1 ou 2 sont publiés par an. Mais le tirage sera moins important. Et les ventes ne risquent pas de vous mettre beaucoup de beurre dans les épinards.
OK, je noircis un peu le tableau
Peut-être ferez-vous partie des heureux Élus (la majuscule n’est pas superflue) qui recevront une aimable lettre de refus circonstanciée (environ 10 %). (Au lieu de l’affreux courrier impersonnel.)
Ce qui signifie que votre roman n’est pas complètement nul possède d’indéniables qualités. Et que le gentil éditeur (ou la gentille éditrice) vous donnera quelques pistes pour le retravailler.
Que ferez-vous ensuite ? Comme la plupart de ces Élus, vous renverrez une version améliorée. Avec le fol espoir que, cette fois, votre roman fera trépigner d’allégresse le gentil éditeur.
Mais c’est là que ça se corse. Même si vous travaillez comme un forcené pendant des mois pour remanier votre texte, vous risquez de récolter une nouvelle réponse négative. (Vous l’apprendrez bien assez tôt. Les voies de l’éditeur sont souvent impénétrables.)
Résultat : même si un éditeur reconnaît des qualités à votre roman, celui-ci ne sera pas publié.
Au final, plus de 99 % des aspirants auteurs ne verront jamais leur roman en librairie.
Et vous risquez de connaître le même sort. Votre roman, c’est une goutte d’eau dans l’océan des chefs-d’œuvre méconnus.
J’ai (enfin !) une bonne nouvelle pour vous
Je vous vois déjà vous décourager… Est-ce que ça vaut le coup de vous donner tant de peine ? Bien sûr que oui !
Pourquoi ?
Parce qu’il manque à ces 99 % d’auteurs en herbe un avantage que vous avez depuis au moins quelques minutes.
Contrairement à eux, vous savez que le chemin sera long et difficile.
Ce qui, je vous l’assure, est un atout considérable.
Pourquoi ?
Parce que :
1. Vous avez conscience de devoir mettre la barre haut. Contrairement à la plupart de vos concurrents.
Savez-vous que beaucoup d’auteurs en herbe, en particulier dans le domaine de la littérature pour enfants, sous-estiment les difficultés ?
Combien de fois j’ai entendu dire des trucs du genre : « Écrire un roman pour les gamins ? Rien de plus facile. Ce n’est pas de la vraie littérature. Pas besoin d’avoir du génie. Etc. »
Résultat : la grande majorité de ces milliers de tapuscrits est extrêmement mauvaise du point de vue des éditeurs.
2. La plupart de ceux qui échouent n’ont pas envisagé les difficultés. Et encore moins les façons de les surmonter.
Ah oui ! Parce que, si vous voulez être édité, je vous préviens. Il va falloir sortir le bazooka. Histoire de dynamiter les obstacles en question.
Voilà pourquoi vous avez déjà une longueur d’avance sur les autres. Vous savez qu’il faut sortir armé.
Mais je ne parle pas de n’importe quelle arme.
Bon, je vous ai assez fait mariner. Vous voulez savoir quel genre de bazooka manient les auteurs jeunesse qui réussissent ?
L’arme de destruction massive à piquer aux auteurs jeunesse pour se faire publier
La vérité, c’est qu’ils doivent avant tout leur succès à une seule chose.
Une persévérance à toute épreuve.
Ah bon ? Pas à la chance, au piston ou au talent ?
La chance ? La roue de la Fortune tourne pour ceux qui l’actionnent.
Le piston ? Quel éditeur serait assez fou pour publier un livre invendable ?
Le talent ? Croyez-vous qu’on naisse écrivain ? Qu’il y aurait des génies de l’écriture au talent inné ?
Non, pour la plupart, les auteurs connus et reconnus de livres pour enfants se sont d’abord fait jeter comme des malpropres. Ils ont été refusés de partout. On a trouvé leur roman ridicule, leur style lamentable, leur histoire tirée par les cheveux.
Normal, c’était leur premier roman.
Pourtant ils n’ont pas renoncé. Ils ont persévéré. Malgré les refus. Malgré les critiques.
J. K. Rowling est sans doute l’exemple le plus célèbre – et l’un des plus impressionnants – de cette persévérance extraordinaire. Avant d’être l’écrivain aux 500 millions d’exemplaires vendus dans le monde, c’était une mère célibataire au chômage… et au bord du suicide.
Mais c’est pendant cette période noire qu’elle a fini l’écriture de son premier roman. Une seule décision a changé sa vie, d’après elle : « J’ai arrêté de faire semblant d’être quelqu’un d’autre et j’ai concentré toute mon énergie à terminer la seule chose qui comptait pour moi. »
Achever son roman a été la première étape de son succès phénoménal. Pourtant d’autres obstacles ont aussitôt surgi. Douze éditeurs ont refusé son texte. Le treizième a finalement cru en elle.
En 2016, elle écrivait sur son compte Twitter :
J’ai accroché ma première lettre de refus sur le mur de ma cuisine parce que ça me faisait un point commun avec tous mes écrivains préférés. Je n’allais pas abandonner tant que je ne recevais pas une lettre de refus de la part de tous les éditeurs, mais j’avais tout le temps peur que cela arrive.
J. K. Rowling
Tous les auteurs jeunesse édités aujourd’hui ont dû surmonter les mêmes difficultés, avant d’être, parfois, capables d’écrire des best-sellers : terminer leur roman, se heurter aux critiques et aux refus des éditeurs, réécrire leur texte, encore et toujours.
Marie-Aude Murail, l’auteur prolifique aux dizaines de prix, ne fait pas exception.
Plus tard, j’ai envoyé le manuscrit à Gallimard. “Débile”, a jugé l’éditeur. À Nathan. “C’est compliqué”, a soupiré la directrice littéraire. À la responsable d’une future collection, qui n’a jamais vu le jour. Chaque fois, j’ai retravaillé.
Marie-Aude Murail, Auteur jeunesse, comment le suis-je devenue, pourquoi le suis-je restée ?, Éditions du Sorbier, 2003.
Conclusion : vous pouvez sortir du lot sans être un génie de la littérature jeunesse.
Sans devoir compter sur un coup de bol.
Sans piston.
Et je le répète, sans talent inné.
Oui,
Si vous voulez voir votre roman en librairie, il faut vous préparer à saigner. Bah oui, parce que, pour le moment, vous n’avez fait que suer.
Mettez votre ego au placard, encaissez les coups, les critiques, retravaillez encore et encore.
Connaissez-vous cette citation ?
« Tout le monde veut aller au Paradis mais personne ne veut mourir. »
Joe Louis
Je trouve qu’elle s’applique bien aux aspirants auteurs. Écrire un livre est difficile. Parvenir à le faire éditer l’est encore plus. Et peu de gens sont prêts à fournir les efforts nécessaires pour réussir.
Oui mais, le talent dans tout ça ? me demanderez-vous. Est-ce que ce n’est pas le plus important ?
Pourquoi le talent n’est pas le plus important
« Avec un talent ordinaire et une persévérance extraordinaire, on peut tout obtenir. »
Thomas Fowell Buston
Je crois que rien n’est plus vrai quand on aborde le sujet de l’écriture. Le talent pèse assez peu dans la balance au regard de la persévérance et du travail que cela suppose.
Bien sûr, il faut avoir quelque chose à dire qui ne ressemble pas aux propos du voisin. Un sens de l’observation et de l’analyse. Un regard un tant soit peu décalé, subtil, sensible.
Mais en ce qui concerne l’art de raconter, je suis persuadée qu’il se travaille. Voyez les traités et les ateliers d’écriture qui fleurissent un peu partout.
C’est bien la preuve qu’on peut apprendre à écrire, non ?
Évidemment, si vous décidez de vous lancer dans l’écriture alors que vous n’avez jamais ouvert un roman de votre vie, l’exercice risque d’être compliqué.
Ou si vous n’acceptez pas la moindre critique…
En revanche, si:
- vous avez conscience du parcours du combattant qui vous attend
- vous êtes prêt à remettre cent fois sur le métier votre ouvrage
Alors vous multipliez les chances de voir un jour votre roman édité.
Relecture, réécriture, corrections, suppressions, ajouts… Tout cela doit faire partie de votre travail. Si vous voulez en savoir plus ce point crucial, lisez l’article de l’auteur Nadia Coste sur la question ici ainsi que ses 29 autres excellents conseils d’écriture.
Et n’oubliez pas : votre persévérance à toute épreuve sera votre arme de destruction massive.
Super article, merci Pia ! Il permet de se confronter à la réalité de l’édition. Non, aucun éditeur n’attend la bave aux lèvres que nous lui envoyions notre premier manuscrit.
J’adore la citation de Buston, c’est tellement vrai…
On sous-estime parfois le travail de titan que représente l’écriture. Et aussi sa dimension “artisanale”, qui nécessite l’acquisition de techniques, de savoir-faire, etc.
Et une persévérance en béton, évidemment !
Comme on dit : “Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est chemin” (je n’ai fichtrement aucune idée de qui a dit ça.”